L'insulte politique d'hier à aujourd'hui

L'insulte est-elle un fait nouveau en politique, symptôme de la dérive langagière et comportementale de nos sociétés ? Ce constat, un brin fataliste, est à nuancer. Plusieurs ouvrages comme "Noms d'oiseaux, l'insulte en politique de la Restauration à nos jours" (Thomas Bouchet, éditions Stock, 2010) ou "Petit dictionnaire des injures politiques" (Bruno Fuligni, L'Editeur, 2011) ont par exemple compilé les insultes qui s'échangent depuis des décennies voire des siècles à au sein de l'Assemblée ou à l'extérieur. Ainsi, dès 1801, Napoléon Bonaparte est couvert d'insultes par un ancien commissaire du gouvernement qui le traite de "coquin" et de "coyon couronné de bouzes de vaches" qu'il promet de faire "péter". En 1851, Victor Hugo fustige à son tour le président Louis Napoléon Bonaparte, le gratifiant du célèbre surnom de "Napoléon le Petit". L'année suivante, dans un pamphlet publié l'année du coup d'Etat, Napoléon III deviendra "Naboléon", "bouffon" ou encore "Césarion" sous la plume de l'écrivain.

Au début du XXe siècle, Georges Clémenceau n'avait pas lui non-plus sa langue dans sa poche et qualifiait son prédécesseur, Louis Loubet, ainsi que son épouse, de "petits bourgeois incultes et sans éducation installés à l'Elysée" ou encore Jean Jaurès de "dangereux imbécile" allant même jusqu'à qualifier son assassinat de "chance". Edouard Herriot était pour "le Tigre" une "bouse de vache" et Gambetta une "barbe à poux"... A la même époque, Gustave Hervé qualifiait Aristide Briand, autre cible favorite des "insulteurs", de "crapuleux personnage" et de "loque humaine". "Elevé dans un lupanar, entremetteur dès l'adolescence, outrage public à la pudeur vers l'âge adulte, renégat tout le reste du temps, Aristide Briand a une tendance naturelle, innée en quelque sorte, à ne connaitre que le droit commun", renchérissait Léon Daudet, de L'Action française quand son "collègue" Charles Maurras se demandait s'il était "rusé" ou "imbécile".

Charles Maurras, grand professionnel de l'insulte, va aussi s'acharner sur Léon Blum dans sa revue, qualifié de "juif allemand naturalisé" qui "n'est pas à traiter comme une personne naturelle", d'"hirocerf de la dialectique", de "monstre de la République démocratique", d'"heimatlos", de "détritus humain, à traiter comme tel", ou encore d'"homme à fusiller, mais dans le dos" (L'Action française, 9 avril 1935). L'antisémitisme est déjà au sommet en France et en Europe et envahit alors le champ politique avec une flopée d'insultes xénophobes.

léon blum, cible d'insultes antisémites dans les années 1930.
Léon Blum, cible d'insultes antisémites dans les années 1930. © DR

Le nazisme, nouveau vivier d'insultes

La Seconde Guerre mondiale fera entrer de nouvelles insultes dans le vocabulaire politique avec les désormais incontournables "nazi" et "fasciste" proférés à l'envi. Jules Moch, qui mâta les grèves des mineurs en 1948, sera immédiatement accusé par le PC de faire "pire que les nazis". Un quart de siècle plus tard, en 1974, le débat sur l'avortement provoquera un flot d'invectives, en particulier contre Simone Veil. Celle-ci sera accusée de "barbarie" par Jacques Médecin. Une barbarie selon lui "organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas, il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne". Aujourd'hui encore, l'Allemagne nazie et la France occupée continuent d'obséder le débat public, au point que leur influence a été analysée par un chercheur, Mike Godwin, qui affirme qu'au-delà d'un certain point (le point Godwin), un débat bascule immanquablement vers la référence à la période nazie.

Mais les insultes sont plus variées qu'on le dit et revêtent bien d'autres registres. Depuis le début de la Ve république on a ainsi pu entendre des "traitres par nature" (Valéry Giscard-d'Estaing selon Charles de Gaulle en 1969), "copains et coquins", "barons et larrons" (la droite selon Jean-Pierre Chevènement en 1975 puis selon Jean-Marie Le Pen), "colin froid", "l'écaille visqueuse et la queue souple" (Giscard selon Jean-Edern Hallier en 1979), "savonnette au fond d'une baignoire" (Michel Rocard selon Alexandre Sanguinetti en 1980), "baron du chômage, marquis des Inégalités, comte de la hausse des prix, duc de la Technocratie, prince de l'Electoralisme et le roi de l'Anesthésie", "gosse de riches" (Giscard selon François Mitterrand en 1980), "voyou, menteur analphabète !" (Georges Fillioud, secrétaire d'Etat chargé des techniques selon un élu en 1984), "charcutier" (Charles Pasqua selon un député communiste en 1986), "salopard", "sale individu" (Charles Pasqua selon Roland Dumas en 1986), "vieux complice en combinazione marxisantes", "renégat" (Jean-Pierre Chevènement selon Guy Hocqenghen en 1986), "Pasqua-la-Bavure" (Charles Pasqua selon Jan-Claude Cassaing en 1986), "Fernandel triste" (Charles Pasqua selon François Mitterrand en 1987), "gland" (Pierre Arpaillange selon André Santini en 1989), "pitre" (Bernard Tapie selon Jean-Marie Le Pen la même année), "super-fonctionnaire" (Jacques Delors selon Jean-Pierre Chevènement en 1990), "vieille bigote" (Jacques Delors selon Pierre Joxe en 1991), "Escroc" (Henri Emmanuelli selon Philippe de Villiers en 1991), "la Pompadour" (Edith Cresson selon François d'Aubert en 1991), "à moitié fou" (Jean-Pierre Chevènement selon François Mitterrand en 1993), "chatterton qui se colle au veston quand on l'a décollé du doigt" (Michel Roccard selon François Mitterrand en 1995), "rouquin va !" (un jeune manifestant selon Jean-Marie Le Pen lors d'une visite à Mantes la Jolie en 1997).