Himalaya :la chenille, le champignon et le lama (Fable)

L'auteur part prochainement pour le Haut Dolpo une région célébrée par le film: Himalaya, l'enfance d'un chef... Une région loin de tout? Dernier refuge contre la "modernité"? Vraiment?

Dans moins de vingt jours maintenant, je partirai pour le Haut Dolpo, province Tibétaine du Népal, avec un petit groupe de clients. Pour atteindre le sanctuaire de Yangser et son alignement multiséculaire de chortens, il nous faudra plus de trois semaines de marche, affronter la mousson qui déborde les crêtes de glace, franchir plusieurs cols de plus de 5000 mètres, prendre garde à ne pas se faire écorner par un colonne de Yaks orné de pompons rouges déboulant d’une piste venant du Tibet Chinois. Dans ces hautes altitudes, le seul combustible est la bouse de yak séchée qui dégage une fumée âcre qui pique les yeux.

 

Cette région des Cieux et des Dieux a été célébrée par le film de Eric Valli : Himalaya, l’enfance d’un chef. Un haut pays, loin de tout. Un dernier refuge, peut être, pour s’isoler des turpitudes d’un monde qui s’affole : violence aveugle, téléréalité, folie spéculatrice…

 

Et pourtant… ce bel équilibre multi-séculaire est sur le point de rompre !

La faute à qui ? La faute à la chenille et au champignon : le Yarsagumba, le Yarsa quoi ?...

 

Le Yarsagumba est un champignon parasite , en forme de coton tige, poussant exclusivement sur les pâturages de haute altitude : un drôle de truc ! Le Cordyceps sinensis, puisque c’est son nom, doit, pour se reproduire, être ingéré par la larve souterraine d’une chenille (Hepialus Fabricius). Le champignon se développe alors  en se nourrissant de la chenille qu’il finit par trucider. Long de quelques centimètres, il est récolté depuis des siècles par les tibétains car réputé dans la pharmacopée chinoise : un puissant stimulant utilisé par les athlètes Chinois, et surtout… un aphrodisiaque efficace : le viagra des neiges éternelles !

 

Voilà donc, nos hauts plateaux désertiques transformés en Eldorado dès la fonte des neiges.  La fièvre de l’or des neiges bouleverse tout sur son passage, aiguise les appêtits. A 6 000 € le kilo,  un cueilleur efficace peut gagner 2 000 € en une saison dans un pays où le revenu moyen est inférieur à 500 €/an ! Il est vrai que le travail est difficile et que le danger est omniprésent : avalanches, précipices, froid. On raconte que certains cueilleurs n’hésitent pas à louer des hélicos pour vendre leur récolte à des acheteurs Chinois, que les moines désertent leurs monastères pour eux aussi profiter de l’aubaine. Cette fièvre déséquilibre une économie fragile : les pâturages sont piétinés, les relations entre communautés, jalouses de leurs trésors, se tendent. On dénombre depuis quelques années des vols et même des meurtres, dans une région où les seuls murs de prison sont les falaises et les glaciers !

 

Un vieux lama (prêtre… pas l’animal) nous confiait récemment que l’équilibre du monde tient à trois éléments essentiels : le Yak blanc, la chèvre bleue de l’Himalaya et le Yarsagumba. Si un élément vient à manquer (et c’est le cas cette année : abus de récolte, manque de neige ?), l’équilibre du monde est rompu. Voilà qui expliquerait bien des choses : violence aveugle, téléréalité, folie spéculatrice….

Gérard Guerrier, président général d'Allibert Trekking