Akito Aihara (New Normal) : "c'est un instant crucial pour la tenue de l'histoire"
Comment situer l'action d'un manga en un coup d'œil ? Comment titiller la curiosité du lecteur qui jette un œil en librairie ? Comment placer les enjeux d'un arc narratif de manière évidente ? Toutes ces questions les auteurs se les posent lorsqu'ils planchent sur la première page d'un album.
Né en pleine pandémie de Covid-19, le manga New Normal, est un petit bijou de science-fiction, qui gagne en profondeur à mesure que l'histoire s'éloigne du prétexte initial. Après un magistral cinquième tome qui a redistribué les cartes de l'univers de New Normal, le sixième opus était attendu avec impatience par les fans.
Les enjeux et les relations entre les protagonistes, ont pris une ampleur que l'on ne soupçonnait pas aux débuts de l'aventure, la dystopie s'étendait bien au-delà de la belle romance que l'on nous a initialement promise.
À l'occasion de la sortie du sixième tome de New Normal en France, (fin mars 2025), le mangaka a accepté de décortiquer pour les lecteurs de Linternaute.com la première page du nouveau volume. Dans ce tome, l'auteur, d'emblée, rappelle que la tension est plus que jamais palpable.

Explication de style par Akito Aihara :
"Cette scène constitue le tout premier épisode du sixième volume, soit la première page du chapitre 36, un moment d'une importance capitale. Lorsque j'ai réfléchi à ce que serait le sixième volume, j'ai imaginé que l'unité des " fantômes ", dont l'existence avait été subtilement suggérée jusque-là, apparaîtrait enfin devant Qin et le reste de l'équipe, et que l'histoire deviendrait ainsi beaucoup plus impitoyable et intense.
Comment transmettre cette prémonition aux lecteurs ? C'est un instant crucial pour la tenue de l'histoire. Cette première page représente le calme avant la tempête, le commencement de la terreur. L'histoire commence à se mouvoir lentement, mais elle n'est en aucun cas tranquille. Des nuages noirs et lourds s'amoncellent, leur poids se fait de plus en plus oppressant, comme s'ils allaient finalement s'abattre.

Si l'on s'attarde sur la première case : dans un silence oppressant et une obscurité totale, un véhicule transportant une silhouette s'arrête dans une ruelle étroite, entourée de bâtiments. Cela signifie que leur présence appartient aux recoins les plus sombres de la cité, là où il ne faut surtout pas être vu. Pour transmettre cette impression aux lecteurs, j'ai choisi d'utiliser un plan large vu de haut.

Dans la deuxième case, le bruit du moteur de la porte arrière du véhicule brise le silence. La lumière qui filtre à travers l'écart de la porte qui s'ouvre lentement déchire l'obscurité. Que va-t-il en sortir ? Cela génère à la fois un sentiment d'attente et d'anxiété quant à ce qui va suivre.

La troisième et dernière case de la page est en fait composée de deux plans : l'arrière-plan et le premier plan. Ici ils font office de séquences dans la scène. Si cette scène était en vidéo, la caméra se déplacerait de droite à gauche pour passer d'un plan à l'autre.
En arrière-plan, des bottes noires et massives, apparemment lourdes, apparaissent du fond du véhicule. Ces bottes noires appartiennent probablement aux " fantômes " qui avaient attaqué Karin et Reiji dans le passé. Les lecteurs comprennent alors que les fantômes vont enfin se montrer sous leur véritable forme.
Ensuite, ces jambes descendent du véhicule. L'anxiété et la terreur qui étaient jusqu'ici contenues semblent prêtes à déborder. Peut-être que les lecteurs se diront alors " Ne sortez pas ! ". La caméra se déplace encore vers la gauche, et la dernière intension visuelle montre les jambes déjà posées au sol - au premier plan. Les fantômes ont finalement été libérés.
La peur et l'angoisse s'intensifient, et lorsque l'on tourne la page suivante, que va-t-on découvrir… ?"
En trois cases, muettes, l'auteur arrive à faire monter la tension à son paroxysme et interpelle le lecteur. Ce tome ne sera pas une promenade de tout repos. Il s'inscrit dans la continuité de l'excellent twist narratif du cinquième opus. Un tome qui se dévore d'une traite !
Lisez notre Interview d'Akito Aihara, le mangaka pour en savoir plus sur la genèse de New Normal.
New Normal, Akito Aihara, publié aux éditions Kana, 8,10€