De Gaulle est un film "nécessaire" pour Isabelle Carré [Interview]

De Gaulle est un film "nécessaire" pour Isabelle Carré [Interview] INTERVIEW - Isabelle Carré incarne Yvonne de Gaulle dans le biopic consacré au général. Elle livre à Linternaute.com sa vision du personnage et l'importance de ce film aujourd'hui.

Aux côtés de Charles de Gaulle, il y avait son épouse Yvonne. C'est ce que rappelle dans (presque) toutes ses images le biopic De Gaulle, en salles le 4 mars 2020. Loin de la caricature de "tante Yvonne" des années 1960, le biopic décrit l'épouse du général comme celle qui, à ses côtés en 1940, l'a encouragé à continuer à se battre et à partir à Londres. Elle est incarnée par Isabelle Carré, qui a répondu à nos questions avant la sortie du long-métrage. L'actrice française se livre sur sa découverte du personnage, son importance dans le déroulé des événements, mais également sur ce qui l'a motivée à rejoindre un projet aussi ambitieux. Rencontre.

On ne connaît pas bien Yvonne de Gaulle en 1940, l'époque où se déroule le film...

Non, et elle n'a jamais voulu se faire connaître. Tout au long de la carrière politique de son mari elle est restée un pas en arrière, même si elle a influé bon nombre de fois sur ses décisions. En 1940, elle était plus jeune, elle n'avait pas perdu sa fille Anne, donc le chagrin l'avait moins marquée, et surtout c'était une femme très vaillante, très forte, convaincue que son mari avait un rôle à jouer. Elle était aussi très intègre avec un goût de l'idéal.

Cette discrétion qui la caractérisait, c'était un avantage ou un inconvénient pour l'incarner à l'écran ?

Son goût de la discrétion, je m'en sens proche. J'ai l'impression que ce qui m'anime, ce n'est pas tant d'être sans arrêt présente et de paraître dans les magazines ou ailleurs, c'est plus le plaisir d'exercer ce métier, le plaisir des mots, de la langue et des histoires. Ce qui m'anime, c'est même de disparaître dans les histoires qui me sont proposées. Donc je comprenais cet aspect là de son caractère. Et surtout j'avais le champ libre : on n'a jamais entendu le son de sa voix, on a très peu d'images d'elle, à part cette caricature de tante Yvonne. C'était à moi de montrer autre chose et de m'emparer du personnage.

Avant le film, qu'est-ce qu'elle vous inspirait ?

Je ne la connaissais pas vraiment, comme nous tous. Je savais qu'elle était très aimée malgré tout par l'entourage et par la plupart des Français aussi. Peut-être respectaient-ils cette modestie qu'était la sienne et son sens de l'éthique, sa droiture ? Une des premières choses qu'elle ait faite en arrivant à l'Elysée a été de changer le compteur à gaz pour mettre un compteur personnel pour ne pas peser sur les factures.

"N'oublions pas que les meilleurs des nôtres ont tout quitté, ont pris un bateau et ont risqué leur vie sur la Manche !" Isabelle Carré, actrice. 

C'est quelqu'un qui vous inspire du coup ?

(Réfléchit) J'aime beaucoup son honnêteté et son éthique, oui. Je trouve ça assez inspirant de ne pas vouloir profiter et de ne pas vouloir se mettre en avant, d'avoir ses propres convictions et de vouloir garder cette liberté. Après... il y a un autre côté d'elle plus réactionnaire... par exemple quand elle demandait à son mari de ne pas recevoir des gens qui étaient divorcés... (pause) C'était une autre époque.

En plus de jouer la femme de Charles de Gaulle, vous incarnez aussi les Français en fuite lors de l'invasion allemande...

N'oublions pas que les meilleurs des nôtres ont pris un bateau avec une valise pour tout bagage, leur famille, ont tout quitté et risqué leur vie sur la Manche ! (pause) Je pense beaucoup aux migrants, j'avais été bouleversée par ce jeune homme qui avait cousu dans son blouson son bulletin scolaire. En fait, la fin du film, quand on joue la scène dans la cale où elle prend ce bateau et qu'elle risque de se faire torpiller,  je pensais à ce jeune garçon avec son bulletin scolaire.

Isabelle Carré dans De Gaulle. © ALAIN GUIZARD / BESTIMAGE

C'est une période qui vous parle ?

Mes grand-parents m'ont parlé de la débâcle, oui. Ils ont tous fait la guerre. Et puis il y a cette histoire dans ma famille : le frère de ma grand-mère était résistant à 17 ans. Comme ils étaient tous cheminot dans ma famille, il avait accès aux trains et il les faisait sauter. Mais personne n'était au courant. Malheureusement il a été pris trois jours avant la libération de Tours et il a été fusillé. Donc oui, cette époque me parle : dans le salon de ma grand-mère, il y avait une petite table réservée à ses médailles, c'était très touchant.

L'un des messages du film c'est que sans Yvonne, Charles De Gaulle n'aurait certainement pas pu accomplir ce qu'il a accompli ...

C'est un film très Me Too ! (rires) Peut-être que ce film n'aurait pas été financé ou tourné de cette façon il y a dix ans. Parler à la fois du politique et de l'intime, du mari et de la femme mais aussi de l'enfant, je pense que c'est un bel angle pour s'interroger sur ce qui fait qu'on dit non. C'est la question qui nous brûle les lèvres à tous. Quand on est collégien ou lycéen, on ne peut pas apprendre cette histoire sans se demander : mais qu'est-ce que j'aurais fait moi ? De quel côté j'aurais été ? Quand on lit un livre d'histoire, on se dit que tout était écrit d'avance, que ça devait se passer ainsi. Mais le mérite du film, c'est de montrer que ce n'est pas le cas ! A chaque heure, les décisions devaient se prendre, c'est un tissu, une toile d'araignée vertigineuse de doutes, de micro-décisions, de soutiens ou de non-soutiens, de hasards... pour se retrouver là, à croire en une feuille de papier, un stylo, un micro, à des mots et à une conviction que la France, ce n'était pas celle d'Hitler.

"C'est un film nécessaire, pour la jeune génération, pour nous, et peut-être pour poser les bonnes questions aux politiques"

C'est un film sur un personnage fort, mais aussi sur un moment historique fort. Est-ce que c'était un long-métrage difficile à faire ?

Je n'ai pas eu ce sentiment-là. J'avais peur pour mon camarade, Lambert Wilson. Je me souviens de la première fois où il est arrivé en costume de De Gaulle... Il y a eu un silence sur le plateau. Il a rassuré tout le monde en cinq secondes, il a trouvé le bon curseur entre l'imitation et la composition. Il fallait être réaliste mais en même temps réadapter les choses, et surtout les rendre sincères. Lambert [Wilson, ndlr]  a vraiment réussi ça.

Vous n'aviez pas de pression à jouer Yvonne de Gaulle et à participer à ce projet ambitieux ?

J'ai surtout ressenti beaucoup d'enthousiasme, parce que le devoir de mémoire c'est important. Participer à ce projet, on ne peut en être que fier ! De temps en temps, je pensais à tous les jeunes qui verront le film à l'école ou avec leurs grands parents. Encore une fois, faire un biopic seulement sur De Gaulle, ça ne m'aurait pas enthousiasmé comme ça. Le film pose la question de choisir son camp, même lorsque tout est contre vous ou semble contre vous.

C'est donc un film qui reste d'actualité ?

Et nécessaire même ! Pour la jeune génération, pour nous aussi, et peut-être pour poser les bonnes questions aux politiques : qu'est-ce que c'est vraiment de faire de la politique ? Qu'est ce que ça implique ? Est-ce que c'est pas un sacrifice, est ce que ça devrait pas toujours être un sacrifice ? Ce sont aussi des questions que pose le film.

De Gaulle - sortie cinéma le 04 mars 2020