Amel Lacombe : "Look Back est un concentré du meilleur de l'animation japonaise moderne"
Look Back, le moyen métrage d'animation, adaptation du célèbre manga éponyme bénéficie d'une sortie en salle éphémère en France ces 21 et 22 septembre 2024. Amel Lacombe, la distributrice du film en France, nous explique les contraintes liées à une sortie évènementielle.
Si vous suivez l'actualité des mangas de près ou de loin, vous n'avez pas pu passer à côté du phénomène Look Back. Ce one shot de 143 pages, signé de Tatsuki Fujimoto (Chainsaw Man, Fire Punch) a été publié sur la plateforme en ligne Jump+ en Juillet 2021, et a réuni plus de 4 millions de lecteurs en moins de 48 heures. Quand la version reliée (tankobon) a été publiée au Japon, plus de 150 000 exemplaires ont été écoulés en deux semaines.
Les critiques comme les lecteurs ont salué la qualité de cette œuvre, déjà un classique du genre.
Tatsuki Fujimoto, avec Look Back, s'éloigne des mangas d'actions et d'aventure qui ont fait sa réputation, il livre une fable intimiste flirtant avec la réalité.
Look Back, c'est l'histoire d'une rencontre de deux personnalités opposées, de la naissance et l'éclosion d'une amitié, et de la poursuite d'une passion dévorante, le tout ponctué d'un drame humain.
Fujino est passionnée de manga. Ses strips sont publiés, toutes les semaines, dans le journal de l'école. Extravertie et sûre d'elle, Fujino est persuadée qu'elle deviendra une mangaka célèbre. Ses certitudes vacillent quand un jour, elle voit dans le journal de l'école une histoire dessinée par Kyomoto. Le dessin est bien plus beau que le sien…
Kyomoto est ce que l'on appelle une hikikomori, elle ne sort jamais de chez elle. Mais un jour Fujino va être chargé par son professeur d'apporter son diplôme de fin d'année à Kyomoto. C'est le début d'une grande amitié entre ces deux passionnée du manga…
Adapté en moyen métrage (58 minutes), acclamé au festival d'Annecy, Look Back sera pour deux jours seulement à l'affiche dans les salles de cinéma françaises.
Amel Lacombe, la fondatrice d'Eurozoom, le distributeur pour la France de cette pépite, explique à Linternaute.com pourquoi une telle sortie événementielle s'impose malgré le risque financier.
Look back est l'adaptation en film d'animation d'un manga one shot au succès mondial. Était-ce un " achat" évident ? Ou bien avez vous attendu de voir le film pour vous y intéresser ?
Amel Lacombe : Je n'avais pas lu le manga. Je suis accaparé par mon métier de distributrice de films et particulièrement de films d'animation. Bien sûr, j'avais entendu parler de l'œuvre, mais je ne m'y suis intéressé que lorsqu'une adaptation animé a été annoncée. Je discute avec des producteurs japonais tous les jours, l'annonce de cette adaptation à généré un buzz dans le milieu, et même au-delà.
Je me suis alors renseigné sur l'histoire, j'ai appris le contexte autour de cette œuvre et les liens forts avec le drame qui a frappé le studio Kyoani. J'ai alors contacté les gestionnaires licensing international du film. Je n'avais jamais encore travaillé avec eux, j'ai pu les rassurer en leur présentant Eurozoom et les ai convaincus de l'intérêt d'une sortie en France, mais…
Mais... ?
Mais il y avait plusieurs obstacles. En premier lieu, c'est un film produit par un jeune studio indépendant. Pour se financer ils ont vendu le film à une plateforme d'AVOD. Ces plateformes n'ont pas du tout la même logique d'exploitation d'un film, qu'un distributeur cinéma comme nous. Mais j'ai été happé par la narration du film, la dramaturgie grandiose de cet ovni cinématographique. Look Back est un concentré du meilleur de l'animation japonaise moderne en seulement 58 minutes.
J'ai réussi à négocier pour le présenter aux équipes du festival d'Annecy, qui ont accepté car au fil des ans nous avons noué une relation de confiance avec eux. C'était à la dernière minute, donc en séance spéciale. Ils ont été dépassés par l'engouement autour de cette séance, car elle était complète en moins d'une heure. Ils ont dû en reprogrammer plusieurs.
Avec l'explosion des plateformes de AVOD et SVOD, il semble difficile de faire coexister exploitation traditionnelle et chronologie des médias en France. Est-ce pour ça que le film sort en période événementielle ?
Tout à fait. J'ai tout tenté pour faire comprendre à la plateforme que l'exception culturelle française était un atout pour eux. Même si cela repoussait l'exploitation du film de 17 mois en hexagone. Mais je me suis heurté à un mur. Et pourtant, c'est dommageable pour le film, et même, au-delà pour le réalisateur.
Quelles sont les contraintes d'une sortie événementielle ?
Les gens ignorent ces contraintes, ils pensent qu'il suffit de ne sortir que sur quelques jours. Mais le règlement est drastique en France. On a droit qu'à 500 séances en 48h. Pas une séance de plus, sinon on s'expose à une amende de 45 000€. D'ailleurs, en ce moment, avec la sortie du documentaire Kaizen, du Youtubeur Inoxtag, le producteur MK2 Alternatif, a pris un très gros risque en le programmant sur plus de 1 000 séances, faisant fi de la réglementation.
Peut-on rentabiliser une sortie avec 500 séances en deux jours ?
Absolument pas. D'ailleurs, on a arrêté pour l'instant le nombre de séances à 450. Car il arrive que certaines salles prévoient des séances en supplément à la dernière minute et nous préviennent à postériori. Une sortie événementielle de Look Back en salle est une aberration économique. Et pourtant, je le fais et le ferai à nouveau sans hésiter. On va perdre de l'argent avec l'exploitation de ce film, mais artistiquement, c'est une obligation morale que de le mettre en salle. Notre métier de distributeur, c'est de faire permettre à un public de rencontrer des films. De dénicher les réalisateurs et réalisatrices de demain, de les accompagner.
Est-ce pour cet esprit de " découverte" que vous avez planifié une sortie nationale ?
Tout à fait, la logique économique nous aurait poussés à concentrer les 500 séances dans Paris et son agglomération. Où il y a une plus grande densité de population et donc une meilleure garantie d'avoir des salles pleines. Mais c'est important pour nous d'offrir la meilleure couverture possible à ce film et à ce jeune réalisateur. Aujourd'hui, nos principaux concurrents n'ont pas cette logique éditoriale. Ils se contentent de regarder des chiffres déjà établis et de sortir le chéquier.
Voici les salles où découvrir LOOK BACK , exclusivement les 21 et 22 septembre !
— Eurozoom (@infosEurozoom) August 30, 2024
Dautres salles rejoindront bientôt l'événement Restez connectés pour ne rien manquer.
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Après le manga culte, une expérience à ne pas pic.twitter.com/RIkBRY875X
Vous avez une logique presque artisanale ?
On peut dire qu'on a conservé une taille humaine en effet, et c'est très important dans ce milieu. Bien sûr, l'argent reste une clé forte, si ce n'est la clé principale, mais l'humain permet encore de compenser certaines dérives. C'est grâce aux liens que nous avons tissés avec Makoto Shinkai, en le soutenant dès ses débuts, que nous avons pu récupérer la distribution en France de Suzume. Alors que Sony avait récupéré l'exploitation mondiale en dehors du Japon.
D'ailleurs, nous avons fait le meilleur score en Europe avec 575 000 entrées, et au final un meilleur résultat par copie qu'aux USA. Si je reviens à la venue de Kiyotaka Oshiyama, le réalisateur de Look Back à Annecy cet été, j'ai fait une rencontre incroyable. C'est une personne exceptionnelle. Il dégage un humanisme chatoyant. Il travaille en famille, sa femme fait partie de son studio. C'est le genre de rencontre qui vaut des dizaines de milliers d'entrées en salle. Et j'espère pouvoir travailler à nouveau avec lui à l'avenir.
En parlant de Makoto Shinkai, est-ce qu'une sortie événementielle ne nuit pas aux prix potentiels ?
Totalement, et pour plusieurs raisons. La première, technique, un film qui n'a pas de visa d'exploitation " normal" ne peut pas concourir aux Césars par exemple. Les films de plateformes, c'est très bien pour le financement en pré-production, mais ça nuit à la vie de l'œuvre post sortie. La France est un territoire majeur pour la valeur ajoutée autour d'un réalisateur. En France, le réalisateur a encore une aura incroyable, il personnifie un film. Je peux dire sans hésiter que si Mamoru Hosoda s'est retrouvé à Cannes et aux Oscars, c'est en partie grâce à sa venue en France lors de la sortie du film La Traversée du temps. Nous avions eu beaucoup de presse lors de sa venue. Et les personnes en charge des comités de sélection, mais aussi les membres des jury, regardent énormément la presse.
Si vous cherchez sur Google " Mamoru Hosoda" dans l'onglet news, vous tomberez majoritairement sur des articles de la presse francophone. Récemment, pour Ongaku, un film de niche, Marius Chapuis dans Libération a fait un article sur le film. Ce type d'article est un événement majeur dans la carrière d'un réalisateur. Pour Suzume, Crunchyroll a été très intelligent, et a poussé pour une sortie mondiale au cinéma. Et l'histoire leur a donné raison quand on voit le nombre de sélections et de prix qu'a obtenu le film.
Faut-il s'attendre à ce que ce type de sortie événementielle devienne une nouvelle norme dans le monde du film d'animation ?
Je ne pense pas. Les réalisateurs et studios renommés sont bien au fait des impacts d'une sortie limitée aux plateformes AVOD et SVOD. Aujourd'hui, les petits producteurs n'ont pas forcément les moyens de refuser ce genre de contrats et de contraintes. Mais j'espère qu'ils apprendront à s'unir, pour négocier quelques exceptions, et que la France fera partie - à l'instar du Japon - des pays où une exploitation en salle sera conservée, malgré la chronologie des médias.
Comment une sortie de ce type diffère d'une sortie " classique" ?
Cela n'a rien à voir. On n'exerce pas un centième de notre métier pour ce type de sortie. Aucune presse, pas d'achat d'espace, pas de communication, pas de travail d'influence. On est déjà sur une exploitation à perte, on ne peut pas creuser le déficit. C'est pour cela aussi qu'on ne peut proposer une version avec doublage.
Vous avez quand même ouvert un pop-up store sur trois jours ?
Habituellement, ce pop-up store, qui est attenant à nos bureaux, nous sert de support promotionnel avant tout. Mais faire venir du matériel de promotion, des goodies ou autre du Japon coûte cher et prend du temps. Pour Look Back, nous avons décidé d'utiliser le pop-up store comme un à côté, pour marquer l'importance de cette sortie, accompagner ce jeune réalisateur au maximum, et communiquer avec nos spectateurs.
Look Back, film de Kiyotaka Oshiyama, en salle exclusivement les 21 et 22 septembre 2024.