Avortement : quel changement si le droit à l'IVG entre dans la Constitution ?

Avortement : quel changement si le droit à l'IVG entre dans la Constitution ? Le chemin à parcourir pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution reste encore long et semé d'embûches. Concrètement, un tel changement ne serait par ailleurs que peu perceptible dans le quotidien des Français.

[Mis à jour le 24 novembre 2022 à 22h06] Un premier pas vers l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution a été réalisé ce jeudi 24 novembre. La proposition de loi de La France insoumise a été adoptée par l'Assemblée nationale, à l'occasion de sa niche parlementaire (une journée où un groupe minoritaire à l'Assemblée est maître de l'ordre du jour). La proposition de loi constitutionnelle "visant à garantir le droit à l'interruption volontaire de grossesse" a été approuvée par 337 députés. 32 voix contre et 18 abstentions ont également été recensées. Pour autant, rien n'est gagné. Le texte doit encore être validé dans les mêmes termes par le Sénat, majoritairement à droite et donc plutôt opposé à cette idée. Dans le cas où la chambre haute donnerait son feu vert, il faudrait encore qu'un référendum soit organisé. Référendum qui ne serait pas sans risque pour le président Macron, à qui il reviendrait la charge de le convoquer ou... de l'oublier. Si toutefois un référendum était mis sur pied, les Français devraient alors se prononcer en majorité pour. Sans cela, l'inscription de l'IVG dans la Constitution ne pourrait être validée.

Cette proposition de loi constitutionnelle intervient cinq mois après la décision de la Cour suprême des États-Unis d'enterrer l'emblématique arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit des Américaines à avorter. Un arrêt qui avait pourtant marqué l'histoire en 1973. Un arrêt qui depuis quasiment un demi-siècle garantissait le droit des Américaines à avorter. Mais un arrêt qui n'avait dans les faits jamais été accepté par la droite religieuse, rappelle BBC News. Quand en juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a fait volte-face, elle a ouvert la porte à de nombreuses restrictions, chaque État devenant alors libre d'interdire ou non les avortements. Une décision qui avait suscité de vives réactions outre-Atlantique, mais également en France. Si le droit à l'avortement n'y était pas plus en danger que cela, plusieurs groupes politiques avaient tout de même d'emblée fait part de leur volonté d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution.

Quels changements en cas de modification de la Constitution ?

Inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution transformerait le recours à l'IVG en une garantie constitutionnelle et offrirait le plus haut degré de protection à ce droit accordé aux femmes depuis la loi Veil de du 29 novembre 1974. Dans les faits, les changements seraient imperceptibles, le droit de recourir à l'avortement étant déjà garanti, renforcé et protégé par une succession de lois. Le principal effet qu'aurait une inscription du droit à l'avortement dans la Constitution serait la garantie qu'aucune autre loi ou disposition législative ne vienne porter atteinte, restreindre ou interdire le recours à l'IVG en France. "Le législateur ne pourrait plus prendre de mesures régressives qui porteraient atteinte [à ce] droit", a confirmé la professeure de droit public à l'école de droit de la Sorbonne, Diane Roman, dans les colonnes de Libération

Au Parisien, Diane Roman note encore que l'"on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait et ce serait une sécurité". La professeure pointe du doigt ce qu'il se passe ailleurs en Europe. "De nombreux pays comme l'Italie, la Suède, la Pologne ou la Hongrie viennent de mettre au pouvoir des majorités d'extrême droite qui ont des projets sociétaux réactionnaires", constate-t-elle, soulignant qu'"on ne peut pas parier sur l'avenir en France". Et de conclure : "Il est beaucoup plus facile de revenir sur une loi que de réviser la Constitution."

Un projet de loi, plutôt qu'une proposition visant à inscrire l'IVG dans la Constitution ?

À l'occasion d'un "happening" sur le perron du palais Bourbon mardi, les députés LFI se sont affichés brandissant des cintres en métal, symbole des avortements clandestins. Plus que leur proposition de loi, ils ont demandé au gouvernement un projet de loi, alors que la Première ministre, Élisabeth Borne, avait, en juin dernier, soutenu la proposition des députés visant à inscrire l'IVG dans la Constitution. "Nous voulons redire lors de cet événement qui arrive dans deux jours avec notre niche parlementaire que nous ne voulons pas une proposition de loi constitutionnelle, mais un projet de loi constitutionnel", a confié au Huffington Post la présidente du groupe LFI à l'Assemblée, Mathilde Panot.

Et pour cause, un projet de loi constitutionnelle, qui émanerait non pas des députés à l'inverse d'une proposition, mais du gouvernement, permettrait d'accélérer les choses puisque lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution, les parlementaires doivent se plier à un référendum tandis que le gouvernement n'a seulement besoin que de "deux tiers des parlementaires [réunis en] congrès", a précisé la députée du Val-de-Marne.

Quelles sont les chances de voir entrer le droit à l'IVG dans la Constitution ?

Difficile de parler d'un long fleuve tranquille. Lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution, une proposition de loi constitutionnelle doit dans un premier temps être approuvée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat. Hors la chambre haute du parlement est actuellement résolument à droite, soit plutôt contre. Preuve en est, le 19 octobre dernier, le Sénat a déjà retoqué le texte porté par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel qui visait à… constitutionnaliser l'IVG.

Au-delà de cette étape qui s'annonce déjà compromise donc, comme l'a rappelé la députée Mathilde Panot auprès du Huffington Post, si l'un des textes passait la première étape, il lui faudrait encore être approuvé par référendum. Mais un référendum est souvent considéré comme risqué pour un président de la République. Or dans ce cas là, ce serait au chef de l'État qu'il incomberait de le convoquer. Et comme le souligne Libération, Emmanuel Macron pourrait alors tout à fait le jeter aux oubliettes.

La droite et l'extrême droite contre l'entrée de l'IVG dans la Constitution ? 

Si LFI et la majorité semble, une fois n'est pas coutume, sur la même longueur d'onde, Les Républicains et le Rassemblement national sont bien plus frileux sur ce sujet. Pour Marine Le Pen, qui s'est exprimée mardi 22 novembre sur le sujet dans un communiqué, "à l'heure où les Français sont touchés par de multiples crises […], il apparaît tout à fait décalé d'ouvrir un débat qui, s'il existe aux États-Unis, n'existe pas en France, aucune force politique n'envisageant de remettre en cause l'accès à l'IVG". De son côté, le patron des LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, affirmait au début du mois de novembre que Les Républicains considéraient "que ce débat, on aurait pu se l'épargner". Dans ces deux camps, la consigne avait été de ne justement pas imposer de consigne de vote, rappelle Libération.

Deux propositions de loi sur l'avortement 

Dans les faits, ce n'est pas une mais bien deux propositions de lois constitutionnelles qui visent l'inscription de la protection du droit à l'IVG dans la Constitution qui sont mises sur la table à l'Assemblée : celle des Insoumis, mais aussi celle de Renaissance (ex-LREM). Le texte de jeudi provient donc des Insoumis et souhaite notamment ajouter un nouvel article au titre VIII, disant que "nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits", rapporte Libération. Le second, porté par la cheffe des députés de la majorité, Aurore Bergé, et qui sera abordé à l'Assemblée lundi 28 novembre, a pour objectif d'inscrire au fer rouge que "nulle femme ne peut être privée du droit à l'interruption volontaire de grossesse", faisant fi de la contraception.