Sionisme, antisionisme, antisémitisme... De quoi parle-t-on ? Quelles différences ?

Sionisme, antisionisme, antisémitisme... De quoi parle-t-on ? Quelles différences ? SIONISME - Faut-il une loi pour condamner l'expression de l'antisionisme ? Quelle est la différence avec l'antisémitisme ? Les avis sont partagés sur la question. Découvrez les définitions et les clés du débat dans cette page spéciale...

[Mis à jour le 18 février 2018 à 18h22] "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde", écrivait Albert Camus en 1944. Et c'est sans doute l'enjeu de la discussion qui devait s'ouvrir à l'Assemblée nationale ce mardi 19 février. Le député LREM Sylvian Maillard, président du groupe d'études sur l'antisémitisme à l'Assemblée nationale, souhaite que soit inscrite dans la loi l'interdiction de porter des propos antisionistes. Cette velléité prendra la forme d'une proposition de loi, qui devrait être discutée par les élus de la Nation. Ils sont en effet plusieurs députés de tous bords à estimer que l'antisionisme doit être reconnu comme un délit au même titre que l'antisémitisme. Auprès du Parisien, Sylvian Maillard s'explique, évoquant les insultes reçues par Alain Finkielkraut à Paris samedi dernier : "Si l'antisionisme était condamnable, on pourrait poursuivre l'insulte 'sale sioniste'. Aujourd'hui, c'est impossible".

De quoi parle-t-on lorsqu'on parle d'antisionisme ? Ce terme recouvre, à l'origine, l'opposition au projet d'établissement d'un foyer national juif en Palestine (voir "sionisme" ci-dessous). Pour l'essayiste Dominique Vidal, collaborateur du Monde diplomatique, interrogé par France Info, il s'agit à ce titre d'"une opinion que chacun est libre d'approuver ou non". Aujourd'hui, on considère plus globalement que l'antisionisme est l'expression plus générale d'une hostilité à l'existence de l'Etat d'Israël. Ce qui reste encore, une opinion, aussi contestable soit-elle. Mais pour le député qui souhaite rendre condamnable l'antisionisme, il s'agit encore d'autre chose. Selon lui, il est désormais clair que l'antisionisme est une forme d'antisémitisme : "La haine d'Israël est une nouvelle façon de haïr les juifs", estime-t-il, auprès de France Info.

Pourquoi ce débat sur l'interdiction de l'antisionisme est-il délicat ? Parce qu'il faut s'entendre sur les termes. Dans l'esprit de Sylvain Maillard, il n'est pas antisioniste - ni antisémite donc - de critiquer le gouvernement d'Israël. Il demeurerait donc tout à fait possible de fustiger la politique de M. Netanyahou et de n'importe quel pouvoir en place en Israël, sans tomber sous le coup de la loi et être condamné. Ce qui serait en revanche condamnable, selon le parlementaire qui porte cette initiative, c'est de "remettre en cause l'existence même de cet Etat". "Personne ne remet en question l'existence de l'Etat français ou de l'Etat Allemand", fait-il remarquer auprès de France Info. C'est tout l'enjeu de ce débat : ne touche-t-on pas à la liberté d'expression en condamnant "l'antisionisme" ? La justice pourrait-elle vraiment punir quelqu'un qui exprime une désapprobation sur la manière dont l'Etat d'Israël a été fondé ? Celui qui n'approuve pas les colonies en Cisjordanie serait-il potentiellement condamnable ?

L'antisionisme, un délit ?

Faut-il nécessairement faire de l'antisionisme un délit pour mieux condamner l'antisémitisme ? C'est la question qui émerge désormais. D'aucuns considèrent qu'il suffit de renforcer l'arsenal juridique existant, et trancher au cas par cas. Le manifestant qui a insulté Alain Finkielkraut samedi 16 février, le traitant de "sale sioniste" a-t-il tenu des propos antisémites ? "L'insulte est forcément antisémite. A partir du moment où il y a un caractère haineux dans les propos, comme c'était le cas des gilets jaunes face à Alain Finkielkraut, il s'agit forcément d'un délit, condamnable par la justice", répond Dominique Vidal à France Info, ajoutant : "Quand on lui dit "sale sioniste de merde", on n'est plus dans la théorie politique. C'est juste purement raciste".

Si tel est le cas, cela suffirait-il à faire condamner de tels propos ? Ce n'est pas simple. Pourtant, il apparaît évident que le terme "sioniste" est souvent utilisé, sur les sites complotistes, pour parler plus généralement de la communauté juive. Dominique Vidal cible d'ailleurs Dieudonné et Alain Soral sur France Info : "A partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s'exprimer. 'Juif' est devenu 'sioniste' et 'antisémitisme' est devenu 'antisionisme' dans leur discours. Ceux qui s'en sont pris à Alain Finkielkraut ont fait la même opération. Ils méritent d'être condamnés avec la plus grande clarté".

Définition du sionisme

Définition de sionisme : selon Le Larousse, le sionisme est "un mouvement dont l'objet fut la constitution, en Palestine, d'un État". A la fois politique et nationaliste, cette idéologie juive incite les juifs à rejoindre la "terre promise", qui correspond pour eux à Israël et à la Palestine. C'est avec la naissance de l'Etat d'Israël le 14 mai 1948, qu'a proclamée l'homme d'Etat David Ben Gourion (1886-1973), que l'objectif du sionisme se voit atteint.

Histoire du sionisme

  • 19 août 1845 : Naissance du banquier français Edmond de Rothschild
    Edmond de Rothschild s'engage dans la Garde nationale au cours de la guerre de 1870. Grand collectionneur, il devient également un mécène. Il est membre du Conseil des musées et offre de nombreux objets à divers musées. Il devient également membre de la Société des amis des sciences et finance de nombreux projets. En 1882, il achète des territoires en Palestine et s'engage totalement dans l'idéologie sioniste. Il crée la Palestine Jewish Colonization Association à l'âge de 79 ans.
  • 15 février 1896 : Publication de "l'Etat juif" par Theodor Herzl
    Le Juif hongrois Theodor Herz est scandalisé  par l'affaire Dreyfus quand il publie l'ouvrage "l'Etat juif", qui prône l'instauration d'un territoire juif indépendant en Palestine. D'après lui, il s'agirait de la seule solution face à l'antisémitisme. C'est ce même ouvrage qui servira plus tard de base au mouvement sioniste. Ce dernier a mené à la création de l'Etat d'Israël.
  • 29 août 1897 : Premier congrès sioniste à Bâle
    Le congrès sioniste de Bâle est organisé par Theodor Herzl. Celui-ci y relaie la thèse développée dans son ouvrage "l'État juif" et crée l'Organisation sioniste mondiale. Son objectif ? Aider les Juifs à trouver un foyer en Palestine. Des années plus tard, la déclaration Balfour viendra appuyer cette nouvelle Organisation.
  • 3 juillet 1904 : Mort de Theodor Herzl
    Le journaliste et écrivain juif Theodor Herzl est né le 2 mai 1860 à Budapest. Il est connu pour avoir fondé lors du congrès de Bâle en 1897, le mouvement sioniste ainsi que le Fonds pour l'implantation juive, dédié au financement de l'achat de terrain en palestine. C'est aussi l'auteur de Der Judenstaat. Theodor Herzl poursuivait l'utopie suivante : que l'autorité coloniale juive soit accueillie favorablement par les populations palestiniennes. Il meurt le 3 juillet 1904 à Edlach, en actuelle Autriche.
  • Août 1907 : Huitième congrès sioniste de La Haye 
    Le Congrès sioniste est une institution appartenant à l'Organisation sioniste mondiale. Son rôle est notamment de décider de la politique économique sioniste et il se réunit, jusqu'à la création d'Israël, dans différentes villes d'Europe. C'est à La Haye, aux Pays-Bas que se tient la huitième édition du congrès, du 14 au 21 août 1907. À cette occasion, et à l'initiative de Chaim Waizmann, le congrès décide de privilégier l'installation des juifs en Palestine, en réclamant par ailleurs que les ouvriers arabes ne soient plus employés dans les colonies.
  • 2 novembre 1917 : Déclaration Balfour 
    Le ministre des Affaires étrangères britannique, le comte Arthur, James de Balfour rédige une lettre ouverte au baron de Rothschild. Il est stipulé que le gouvernement de sa majesté est disposé à créer en Palestine un "foyer national juif". Le baron de Rothschild, vice-président du comité des députés juifs, prône un retour des juifs en Palestine qui appartient au sultan d'Istanbul. L'état d'Israël ne verra le jour qu'après la seconde guerre mondiale, en 1948.
  • 18 juillet 1947 : L'Exodus refoulé en Palestine 
    Les Britanniques, administrateurs de la Palestine depuis la fin de la Première guerre mondiale, arraisonnent le navire "Exodus" dans le port de Haïfa. A son bord 4500 juifs survivants des camps de la mort, partis du port de Sète le 10 juillet et fuyant vers la terre d'Israël. Les Anglais qui interdisent toute immigration juive sur leur protectorat, font ramener de force les passagers en France et en Allemagne à bord de bateaux-prisons. Les affrontements provoqueront la mort de 3 personnes et feront 146 blessés. Quatre mois plus tard l"ONU prendra le décision de créer l'Etat d'Israël.
  • 29 novembre 1947 : L'ONU scinde la Palestine 
    L'Assemblée générale de l'ONU réunie à New-York, prend la décision de partager la Palestine en deux Etats: un Etat arabe et un Etat juif. L'administration de Jérusalem relèvera de l'organisation internationale. Le Conseil de la ligue arabe s'oppose à cette décision et très vite les affrontements commencent entre Juifs et Arabes. Le nouvel état d'Israël naîtra le 14 mai 1948. Dès ses premiers jours, il sera envahi par l'Egypte, le Jordanie, l'Irak, la Syrie et le Liban.
  • 14 mai 1948 : La naissance de l'Etat d'Israël 
    Le jour même où s'achève le mandat britannique sur la Palestine, le président Chaïm Weizmann proclame l'Etat d'Israël. L'ancien Etat d'Israël avait disparu en 70 après Jésus Christ, lorsque Jérusalem avait été détruite par les romains. L'ONU décide d'officialiser la création d'Israël en divisant l'ancienne Palestine en deux Etats, l'un arabe, l'autre juif. Le monde arabo-musulman rejettera le compromis et attaquera aussitôt Israël.

Antisionisme et antisémitisme, quelle différence ?

Selon Le Larousse, l'antisémitisme est la "doctrine ou l'attitude systématique de ceux qui sont hostiles aux juifs et proposent contre eux des mesures discriminatoires". A l'origine, l'étymologie du mot "antisémitisme" vient de l'opposition aux peuples "sémites", qui regroupent Juifs séfarades (mais non ashkénazes), mais aussi peuples arabes. Le terme s'utilise actuellement uniquement pour désigner la discrimination dont sont victimes les juifs.

A côté de l' "antisémitisme", et à ne pas confondre avec lui car ils n'en sont pas des synonymes, il y a "l'antijudaïsme", qui correspond à une hostilité envers le judaïsme, mais pas les personnes de culture juive ; et l' "antisionisme", qui lui pointe l'hostilité au sionisme, et donc au mouvement ayant conduit à la création puis au développement de l'Etat d'Israël, comme indiqué précédemment.

En France, l'antisémitisme n'est pas une opinion, mais un délit. Le code pénal considère même l'antisémitisme comme une circonstance aggravante, comme le racisme, en son article 132-76 : "Les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée." L'antisémitisme est donc considéré comme une forme de racisme. Ses manifestations peuvent être :

  • de la haine dirigée vers une personne
  • des persécutions actives

En Allemagne, Adolf Hitler avait mis en place dans le cadre de son régime totalitaire des lois antisémites, les lois de Nuremberg du 15 septembre 1935. La plus emblématique reste celle de l'étoile jaune, via laquelle les juifs avaient pour obligation de porter de manière visible une étoile jaune sur leurs vêtements. L'antisémitisme sous le Troisième Reich entraînera le génocide des juifs d'Europe, avec un grand nombre d'entre eux assassinés par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce crime contre l'humanité est appelé "la Shoah". Autour de 6 millions de juifs y ont perdu la vie.

D'autres persécutions de masse ont eu lieu contre les juifs par le passé, à l'échelle de pays entiers : par exemple les juifs d'Angleterre expulsés en 1290 ; les juifs chassés d'Espagne en 1492, sous l'Inquisition espagnole ; ou encore les pogroms de Russie et d'Europe de l'Est. A chaque fois, des arguments variés sont évoqués, qui restent infondés : les juifs sont "avares", ils ont "tué le Christ", etc. Au Moyen-Age, une raison politique a cristallisé l'antisémitisme et l'a rendu officiel. Les chrétiens ne pouvaient alors pratiquer l'usure, autrement dit le prêt d'argent avec intérêts. Les juifs eux n'étaient pas concernés par cet interdit, ils étaient les seuls à pouvoir pratiquer l' "usure", et furent haïs par extension en tant que créanciers. A cette époque, les rois eux-mêmes annulèrent les dettes dues aux juifs et organisèrent leur expulsion.