Lulu et Nana : deux bébés génétiquement modifiés nés en Chine ?

Lulu et Nana : deux bébés génétiquement modifiés nés en Chine ? Un scientifique chinois travaillant sur des embryons a annoncé la naissance de jumelles humaines génétiquement modifiées. Les fillettes seraient protégées du VIH grâce à leur ADN.

[Mis à jour le 27 novembre 2018 à 17h59] Issues d'embryons génétiquement modifiés, les jumelles Lulu et Nana ont semble-t-il pu pousser leur premier cri il y a quelques semaines en Chine. Les jumelles "se portent bien et font la joie de leur maman et de leur papa", indique même l'homme à l'origine de l'intervention sur leurs gênes avant leur venue au monde. L'annonce a été faite dans une vidéo publiée sur Youtube par He Jankui, un chercheur de l'université des sciences et technologies de Shenzhen. "Lulu et Nana" sont même déjà rentrées chez elles, précise-t-il. Ces deux naissances sont présentées comme une révolution majeure pour la recherche en génétique, qui intervient à la veille du Sommet international de l'édition du génome humain qui doit se tenir le 27 novembre à Hong Kong.

Sitôt l'information rendue publique, les internautes ont été nombreux à réagir. Beaucoup dénoncent "une inconsciente expérimentation humaine". Selon Associated Press, qui cite le chercheur à l'origine de cette expérience, il s'agissait pour lui de créer un "exemple" et de "laisser la société décider de ce qu'elle veut en faire". He Jankui a indiqué que six autres couples avaient accepté de participer au programme, baptisé "Vaccin anti-sida". Les parents concernés ont toutefois refusé d'être identifiés et interviewés. Ils ont également refusé que l'endroit où ils habitaient et où les recherches ont été menées soit divulgué.

"Un tabou éthique"

Le chercheur chinois a utilisé la technique d'édition génétique du CRISPR. Il s'agit d'une méthode peu coûteuse qui permet de modifier un génome humain dans le but de le protéger du virus d'immunodéficience humaine (VIH). "Lorsque Lulu et Nana n'étaient encore que de simples cellules, l'intervention génétique a supprimé l'accès par lequel le VIH entre dans les cellules pour infecter l'hôte" a détaillé He Jankui dans la vidéo. Il a également précisé que l'équipe avait vérifié la modification génétique avant de réimplanter les embryons. La grossesse s'est très bien déroulée et à leur naissance, l'ensemble du génome des jumelles a de nouveau été séquencé pour vérifier si la chirurgie du gène s'était bien passée.

Si cette expérience est une première mondiale, beaucoup la considèrent comme "un tabou éthique". En effet, des chercheurs affirment qu'ils savaient qu'ils pouvaient la maîtriser mais qu'ils ne s'étaient jamais risqués à tenter l'expérience en raison des problèmes éthiques qu'elle posait. La modification de l'ADN pouvait être transmise aux générations futures et ainsi endommager les gènes existants. Une telle méthode d'édition de gène est, pour ces raisons-là, interdite par la loi aux Etats-Unis.

L'université du professeur "choquée"

L'université de Shenzhen, où travaille le professeur He Jankui, a réagi à l'annonce de la naissance de ces jumelles génétiquement modifiées. Elle indique également que le chercheur est en congé sans solde depuis le mois de février 2018 et se dit "profondément choquée" par le travail d'He Jankui. Elle a qualifié l'expérience du professeur comme "une sérieuse violation des normes et de l'éthique académiques". L'université a chargé une commission d'enquêter sur l'incident. La présence du chercheur est toujours attendue ce mardi au sommet international Human Genome Editing. Selon David Baltimore, chercheur à l'Institut  des technologies en Californie(CalTech), "nous ne savons pas ce que He Jankui va dire" lors de ce sommet.

"Nous avons demandé aux autorités sanitaires de la province du Guandong d'ouvrir une enquête minutieuse pour établir les faits" a indiqué de son côté la Commission nationale de la santé lundi soir. 100 chercheurs se sont exprimés à la suite de cette annonce. Ils ont dénoncé "une folie" qui "porte un grand coup à la réputation mondiale et au développement de la recherche biomédicale en Chine"

En 2014 des premiers tests effectués sur des singes

La méthode du CRISPR, utilisée par le scientifique, a été découverte en 2012 par une Française, Emmanuelle Charpentier. En 2014, soit deux ans après sa découverte des premiers tests avaient été effectués sur des singes. Ningning et Mingming, les deux premiers singes génétiquement modifiés sont donc nés à l'université médicale de Nankin. En 2016, c'est sur des bébés humains triploides, qui n'avaient aucune chance de se développer en bébés humains "normaux" que des tests ont été effectués. Sur cette expérience, des modifications étaient survenues sur des portions du génome non visé par la méthode. Les scientifiques avaient donc conclu à la probable naissance de "bébés prématurés" si un jour l'expérience était réalisée sur des embryons.