Patrick Strzoda : le "remarquable" directeur de cabinet élyséen en danger
[Mis à jour le 24 juillet 2018 à 18h45] Auditionné ce mardi et ce mercredi, Patrick Strzoda s'est exprimé, dans le cadre de l'affaire Benalla, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron a expliqué avoir été à l'origine de la sanction infligée à Alexandre Benalla. Ce haut fonctionnaire, issu de l'ENA, est depuis mai 2017 le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron.
Spécialiste des dossiers délicats, Patrick Strzoda a longtemps été sous-préfet, puis préfet dans différentes régions de France. C'est en 2016 qu'il est nommé directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve alors ministre de l'Intérieur puis Premier ministre. Et alors qu'il était désigné préfet de Paris et préfet d'Ile-de-France, Patrick Strzoda a fait le choix de rejoindre l'Elysée. Agé de 66 ans, Patrick Strzoda doit faire valoir ses droits à la retraite à partir du 6 octobre 2018 selon le Journal officiel du 6 juillet.
Le face-à-face Strzoda - Benalla après les faits
Patrick Strzoda a, au cours de l'audition par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, assuré avoir été tenu courant des débordements commis par un ex-collaborateur de l'Elysée le lendemain des faits "J'ai appris le 2 mai qu'au cours des manifestations [de la veille], un chargé de mission de l'Elysée aurait eu un comportement choquant". Patrick Strzoda informe également avoir pris la décision d'une mise à pied après avoir visionné une vidéo montrant Alexandre Benalla commettant des actes inappropriés. "Au vu de cette vidéo, j'ai immédiatement convoqué l'intéressé et je lui ai demandé des explications" explique-t-il.
C'est à ce moment précis qu'Alexandre Benalla aurait été convoqué par son supérieur hiérarchique devant qui il a reconnu les faits et a "justifié son comportement pour aider les policiers pris à parti par des manifestants violets qui ont jeté des projectiles". Une mise à pied de 15 jours a ainsi été ordonnée par le directeur de cabinet du président lui-même, et M. Benalla a été démis de ses fonctions du "4 mai au 22 mai" 2018, et ce, alors qu'Emmanuel Macron, informé de la situation, était en déplacement en Australie.
Patrick Strzoda : "J'assume ma décision"
Le haut fonctionnaire a, après avoir pris connaissance de la vidéo, immédiatement pris la décision de modifier les missions d'Alexandre Benalla. "Une suspension prise par mes soins : une suspension de 15 jours sans traitement et d'une modification des missions de M. Benalla équivalent à une rétrogradation. Il a été déchargé de la participation à l'organisation des déplacements officiels du Président. Ce qui a fait l'objet d'un courrier le 3 mai et qui précise qu'en cas de nouveau comportement fautif il serait licencié", explique Patrick Strzoda. Par ailleurs, ce dernier indique que c'est lui qui a signé le contrat d'Alexandre Benalla à son arrivée à l'Elysée.
Si l'ensemble des députés estiment que la sanction prise à l'encontre d'Alexandre Benalla n'était pas adapté, Patrick Strzoda réplique en déclarant : "En ce qui me concerne, j'assume ma décision". Enfin, interrogé par Guillaume Larrivé, co-rapporteur LR de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le "dircab" a expliqué aux députés qu'il n'a pas prévenu la justice des violences commises par Alexandre Benalla lors de la manifestation du 1er-Mai parce qu'il estimait qu'à son niveau, il n'avait "pas assez d'éléments pour avoir recours à l'article 40", et d'ajouter : "Cette interpellation n'a pas donné lieu à un dépôt de plainte ou ITT". Une réponse qui a vivement fait réagir le député de la France insoumise de la Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, qui a déclaré : "Trois mois ce sont écoulés depuis les faits (...). La sanction n'est pas rapide et n'est pas adaptée, c'est le moins que l'on puisse dire".
L'accord de Patrick Strzoda à la présence d'Alexandre Benalla le 1er Mai
Laurent Simonin est, selon les déclarations de Patrick Strzoda, celui qui a autorisé à Alexandre Benalla à être présent en tant qu'observateur lors de la manifestation du 1er-Mai. Mis en examen pour "violation du secret professionnel", Laurent Simonin est l'un des policiers qui a transmis les vidéos à l'ex-collaborateur de l'Elysée. Et alors que le directeur de l'ordre public Alain Gibelin a indiqué, au cours de son audition par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qu'il n'avait pas été prévenu par Laurent Simonin de sa décision d'accorder à Alexandre Benalla le statut d'observateur, Patrick Strzoda a, d'après ses dires, "considéré que l'invitation émanait d'un haut gradé [qu'il connaissait] et qui a une réputation de professionnel". Et d'ajouter : "Et j'en ai déduis que la hiérarchie de la préfecture était au courant. Je ne m'y suis pas opposé".
Contrairement à Alain Gibelin la veille, qui est depuis revenu sur ses déclarations, le directeur de cabinet du président de la République est "formel", Alexandre Benalla ne se trouvait pas aux réunions de l'Elysée entre les 3 mai et 22 mai, soit durant sa période de mise à pied.
La présence "justifiée" d'Alexandre Benalla aux événements du 14 juillet
"Très apprécié dans la maison" selon l'ancien préfet de Corse, Alexandre Benalla était présent au côté du président de la République Emmanuel Macron, le 14 juillet dernier lors du défilé sur les Champs-Elysées, et ce, alors qu'il était cantonné, par sa hiérarchie, à des tâches administratives internes à l'Elysée. Par ailleurs, concernant la présence de M. Benalla à Giverny, Patrick Strzoda informe les députés qui"il s'agissait d'un déplacement privé d'Emmanuel Macron". Et pour justifier sa présence lors de l'hommage à Simone Veil, le directeur de cabinet du Président rétorque "Son rôle était d'assurer une bonne coordination".
Concernant la présence d'Alexandre Benalla dans le bus de l'équipe de France sur les Champs-Elysées, le directeur de cabinet du président Macron explique aux députés qu'il avait besoin de lui pour des raisons logistiques, afin de s'assurer que les délais soient respectés et que le bus arrive à l'heure à l'Elysée, après leur victoire le lundi 16 juillet. Patrick Strzoda déclare également avoir autorisé sa présence pour "être en contact permanent avec l'équipe".
"M. Benalla n'est pas celui qui dirige les services de sécurité"
Si Patrick Strzoda assure qu'Alexandre Benalla "n'est pas le directeur des services de sécurité", il informe que ce dernier "peut être amené à donner des orientations qui ont des incidences sur l'organisation de ces services." Cependant, Alexandre Benalla était en charge des déplacement non officiel du président de la République. A la question "quelle est la rémunération de M. Benalla ?", Patrick Strzoda a démenti de nombreuses rumeurs parmi lesquelles un salaire mensuel de 10 000 euros était versé à Alexandre Benalla.
De plus, Patrick Strzoda dément "formellement" la prise en charge d'un service de sécurité de l'Elysée par Alexandre Benalla. Et alors que les députés attendaient une réponse claire concernant les avantages dont bénéficiait Alexandre Benalla, le directeur de cabinet du président de la République a déclaré ne pas pouvoir répondre à cette question. "Ces informations sont à votre disposition, mais je ne souhaite pas, dans le mandat que m'a confié le président de la République, vous répondre ici". Le "manque de transparence" du fonctionnaire est fortement dénoncé par l'assemblée. Patrick Strzoda explique cependant que "les moyens qui ont été mis à la disposition de M. Benalla ne sont pas des avantages. S'agissant de la voiture, ce n'était pas une voiture de fonction, c'était une voiture de service pour exercer sa mission".
L'affaire Benalla : une tâche sur le CV de Patrick Strzoda
Jusqu'à l'éclatement de l'affaire Benalla, la carrière de Patrick Strzoda apparaît comme exemplaire. Les actions du "dircab" - le diminutif usuel d'un directeur de cabinet - ont été saluées plus d'une fois. Pour Bernard Cazeneuve, Patrick Strzoda est un "remarquable directeur de cabinet" et un préfet d'une "grande droiture". Et pour l'ancien ministre socialiste Michel Sapin, Patrick Strzoda est un homme "extrêmement rigoureux, précis, avec beaucoup de sang-froid".
Enfin, le maire de Carhaix-Plouguer, Christian Troadec, présente Strozda comme un haut fonctionnaire expérimenté qui a "toujours eu un comportement correct avec les élus". Cette droiture et cette rigueur unanimement reconnues ne seraient-elles pas entachées par l'affaire Benalla ? Pour le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb et le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, la mauvaise gestion de l'affaire Benalla aurait pour responsable l'Elysée, soit Patrick Strzoda.