La démission de Retailleau sur la table, un coup de bluff risqué
Premier tour de funambulisme pour Bruno Retailleau. Le ministre de l'Intérieur devenu président du parti Les Républicains (LR) doit jouer les équilibristes au sujet de l'instauration d'un scrutin proportionnel aux élections législatives. Objectif : porter la voix de la droite fermement opposée au projet face à un gouvernement, dont il fait partie, décidé à mettre en œuvre le nouveau mode de scrutin, le tout sans perdre sa place au ministère.
Difficile de contenter tout le monde, mais Bruno Retailleau a choisi d'assumer la position de LR et c'est en tant que président de parti qu'il s'est opposé à la mesure lors de son entretien avec le Premier ministre François Bayrou, fervent défenseur de la proportionnelle, le lundi 2 juin. Le patron de la droite a fait bloc avec Laurent Wauquiez, président des députés LR et ex-rival à la présidence du parti, ainsi que Mathieu Darnaud, chef des sénateurs LR. A sa sortie de Matignon, Bruno Retailleau a assuré avoir dit au chef du gouvernement qu'il "ne porterait pas" à un tel projet de loi. Or, le ministre de l'Intérieur étant en charge de l'organisation des élections, c'est à lui que reviendrait de présenter un projet de loi sur l'instauration de la proportionnelle. L'homme politique est même allé plus loin en évoquant une possible démission du gouvernement : "Toutes les options sont ouvertes", a-t-il déclaré devant la presse.
Vraie menace de démission ou coup de bluff ?
En menaçant de démissionner, Bruno Retailleau a frappé fort puisque le 18 mai, soir de son élection à la présidence de LR, il affirmait vouloir rester à la tête de la place Beauvau. Mais cette annonce serait surtout stratégique selon des élus et des proches du ministre. En s'opposant frontalement au gouvernement et en refusant ne serait-ce que de négocier sur le sujet de la proportionnelle, Bruno Retailleau veut prouver à sa famille politique qu'il ne se dilue pas dans le macronisme comme l'accusait de le faire Laurent Wauquiez durant la campagne. "Il essaie de calmer Wauquiez et les jusqu'au boutistes" a soutenu un de ses lieutenants auprès de L'Express.
S'il en public Bruno Retailleau a mis sa démission sur la table, en coulisses quitter la place Beauvau ne serait pas vraiment au programme. Plusieurs élus de la droite, dont certains proches de Laurent Wauquiez, estiment d'ailleurs qu'un texte sur la proportionnelle ne justifie pas un départ du gouvernement. "On ne peut pas sortir sur un sujet institutionnel. Mais il ne faut rien s'interdire pour peser dans ce bras de fer", a glissé un député wauquiste à L'Express sous-entendant que la menace ne sert qu'à faire pression sur François Bayrou pour qu'il renonce au projet de proportionnelle. Selon les élus LR, ce dossier n'est pas assez clivant aux yeux des Français pour faire d'une démission l'expression d'une opposition forte au macronisme. D'après eux, Bruno Retailleau a plus à gagner en restant au gouvernement jusqu'à ce qu'un désaccord sur un sujet majeur comme l'immigration ou le budget, par exemple, justifie une démission. D'autant que sa place de ministre a déjà beaucoup servi à Bruno Retailleau le faisant passer de sénateur à potentiel candidat de la droite à la prochaine présidentielle.
Bruno Retailleau a lui-même limité les raisons d'une possible démission en mars dernier en expliquant que son départ ne pourrait se faire que "sur un sujet majeur, qui heurte mes convictions et l'intérêt national" et sur "un sujet compréhensible par le grand public". Des critères qui semblaient exclure un texte sur la proportionnelle, mais depuis quelques semaines le discours du ministre sur ce mode de scrutin suggère qu'un tel texte irait à l'encontre de ses convictions et, selon lui, de l'intérêt national.
Le risque d'une stratégie perdante
Le ministre de l'Intérieur a pris un risque en mettant son rôle au sein du gouvernement en jeu. La seule chance pour Bruno Retailleau de sortir gagnant de ce jeu de funambule est de voir le Premier ministre renoncer à la mesure institutionnelle. Dans ce cas, le président LR pourrait conserver sa fonction tout en ayant satisfait son parti. Or, François Bayrou, très attaché à la proportionnelle, pourrait décider de la mettre en œuvre au risque de perdre un ministre. Il serait alors difficile pour Bruno Retailleau de rester au gouvernement tout en étant contraint de présenter un texte auquel il s'oppose. Il ne pourrait rester crédible en patron de la droite qu'en quittant le gouvernement comme annoncé le lundi 2 juin. Il devrait alors avancer jusqu'en 2027 en perdant sa place de premier plan, redevenant sénateur avec son rôle de président de parti en plus. Bruno Retailleau joue donc à quitte ou double sur le dossier de la proportionnelle.