Pas d'iftar avec les musulmans, mais une messe avec les chrétiens... Bruno Retailleau a-t-il la laïcité à géométrie variable ?

Pas d'iftar avec les musulmans, mais une messe avec les chrétiens... Bruno Retailleau a-t-il la laïcité à géométrie variable ? Le ministre des Cultes a décliné l'invitation à partager le traditionnel repas de rupture du jeûne du ramadan à la Grande Mosquée de Paris. Une décision motivée par la laïcité, mais qui interroge au regard de précédents événements.

Bruno Retailleau met fin à une tradition. Le ministre de l'Intérieur et des Cultes ne participera pas à un repas de rupture du jeûne du ramadan à la Grande Mosquée de Paris ou dans une autre institution musulmane. Le locataire du ministère de la place Beauvau a décliné l'invitation à participer à l'iftar, le moment lors duquel les musulmans pratiquants mettent fin au jeûne quotidien, envoyée par l'institution le mardi 18 mars selon les informations de son entourage à Franceinfo.

Rares sont les ministres des Cultes à avoir refusé de participer à un tel moment. D'autant que Bruno Retailleau n'a pas refusé une seule invitation à partager l'iftar, mais une vingtaine. Sa décision ne semble donc pas liée à des problèmes d'emploi du temps. L'absence du ministre à la soirée de rupture du jeûne organisée par la Grande Mosquée de Paris n'est pas non plus liée aux relations conflictuelles entre la France et l'Algérie, pays dont l'institution religieuse serait proche, d'après son entourage. Bruno Retailleau justifie son choix par le refus de participer à un dîner qui est connoté religieusement, respect de la laïcité oblige selon lui.

Le principe de laïcité implique effectivement la neutralité de l'Etat et de ses représentants face aux différentes confessions religieuses. Le refus de prendre part à une "pratique religieuse", quelle qu'elle soit, paraît donc légitime. Mais en l'occurrence le partage de l'iftar n'entre pas dans ce cas de figure, selon Franck Fregosi, chercheur au CNRS et auteur de Penser l'islam dans la laïcité, qui explique sur Franceinfo que l'invitation en question ne porte pas sur une prière, mais sur un repas de convivialité qui est "devenu, depuis des décennies, un moment de rencontre officielle, avec les référents des cultes".

"Religieux" et pas "institutionnel" ?

La laïcité, si elle impose une séparation entre l'Etat et les religions, n'implique pas l'absence de toute relation avec les institutions religieuses. Plusieurs présidents de la République et ministres ont assisté à des dîners avec les représentants des cultes juif, chrétien et musulman.

Alors pourquoi refuser l'invitation de la Grande Mosquée de Paris ? Parce qu'il y a, selon l'entourage du ministre à Franceinfo, une "différence" entre les moments qui relèvent du rite religieux et ceux qui relèvent de l'institutionnel. Et pour éviter les critiques sur une différence de traitements entre les cultes, les proches de Bruno Retailleau ajoutent que ce dernier ne participera pas "à la messe du vendredi Saint", sans évoquer les autres cas précédemment cités.

Sauf que comme le rappelle Franceinfo, Bruno Retailleau s'est bien rendu, comme ministre à la messe du pape François à Ajaccio en décembre 2024, un office religieux qui n'avait rien de politique mais qui était un événement confessionnel. Bruno Retailleau a également déjà partagé un dîner avec les membres du Conseil représentatif des Institutions Juives de France (Crif).

Le ministre de l 'Intérieur aurait-il une conception de la laïcité à géométrie variable ? Si Bruno Retailleau semble s'astreindre à un respect très strict de la laïcité, en 2014, celui qui était alors président du conseil général de Vendée dénonçait dans les colonnes du JDD un "intégrisme laïcard" qui avait poussé à l'interdiction d'une crèche au sein de son conseil général. Le ministre défendait alors la présence d'une crèche dans l'établissement, en dépit de son caractère religieux et catholique évident. "La laïcité protège la cohabitation des différentes religions et de ceux qui n'y croient pas. La crèche comme d'autres symboles ont quitté cet espace du religieux pour s'inscrire dans la tradition culturelle", défendait alors Bruno Retaileau. Mais ne peut-on pas en dire autant du partage de l'iftar ?