"Chasse aux pauvres" : pourquoi le projet de loi sur le logement social ne passe pas
Le ministre du Logement Guillaume Kasbarian, dévoile ce vendredi 3 mai 2024 en Conseil des ministres son projet de loi "relatif au développement de l'offre de logements abordables". Il vise notamment à apporter les premières réponses à la grave crise traversée par le secteur avec une réforme en profondeur du logement social. Ce projet vise également à mieux loger la classe moyenne. Toutefois, les principales associations de locataires HLM ont rapidement fustigé "un projet de loi qui fait la chasse aux pauvres".
Que contient ce projet de loi contesté ?
Le projet de loi repose sur plusieurs piliers. D'abord, le paiement d'un surloyer "dès le premier euro de dépassement du plafond de ressources" annonce Guillaume Kasbarian. Jusqu'alors, un locataire de logement social réglait un surloyer quand ses ressources dépassaient le plafond de 20 %. Ensuite, la résiliation pure et simple du bail du logement dans un délai de dix-huit mois si le plafond de ressources est "dépassé de 20 % pendant deux années de suite".
De plus, le patrimoine des locataires sera désormais pris en compte pour l'attribution ou le maintien d'un logement social. "Vous pouvez être locataire du parc social en ayant hérité d'une ou plusieurs résidences secondaires et passer sous les radars" explique le ministre. Aussi, le poids des maires sera renforcé. Ils pourront "présider les commissions d'attribution des logements sociaux et prioriser les habitants qui y entrent". Guillaume Kasbarian refuse en revanche tout risque de clientélisme. Enfin, les logements intermédiaires pourraient être intégrés dans la loi SRU "pour diversifier l'offre et soutenir la classe moyenne qui a du mal à se loger". Ces logements intermédiaires sont destinés aux revenus modestes, mais non éligibles à un logement social. Jusqu'alors, ils ne pouvaient pas être inclus dans la loi SRU.
Du "clientélisme électoral", voire de "préférence nationale"
Ce vendredi, le Directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue, a exprimé sa stupéfaction et son opposition au projet du gouvernement sur RMC. D'abord au sujet des pouvoirs supplémentaires accordés aux maires : "Il va dire aux maires qui ne veulent pas faire du logement social "c'est pas grave ! Vous faites du logement intermédiaire, qui est du logement pour cadre en gros, et vous aurez satisfait vos obligations". [...] C'est un cadeau pour les maires qui ne veulent pas de logement social".
Pour le Conseil national de l'habitat (CNH), rassemblant les nombreux acteurs du monde du logement (associations professionnelles, bailleurs sociaux, élus, associations de locataires), le droit de regard des maires sur l'attribution des HLM neufs pourrait engendrer un certain "clientélisme électoral (...) voire (de) préférence nationale". Les 5 principales associations de locataires HLM dénoncent même "un projet qui fait la chasse aux pauvres". Une expression reprise par Manuel Domergue, ce matin au micro de RMC, qui regrette "plusieurs aspects très négatifs" de ce projet de loi.
Le texte "permet d'augmenter les loyers des logements sociaux pour les très pauvres"
Dans un communiqué, paru sur le site de la Consommation Logement Cadre de vie (CLCV), les associations de locataires s'opposent également à une mesure "prétexte" selon elles, celle du paiement du surloyer dès le premier euro de trop : "Sous prétexte de favoriser la mobilité dans le parc social, il (le ministre du Logement, ndlr) propose d'expulser davantage de locataires dépassant les plafonds de ressources en vigueur et de réclamer un surloyer dès le premier euro de trop. Le ministre du Logement menace plus de 8 % des locataires HLM, très loin d'être riches, pour un phénomène très minoritaire (moins de 8 000 ménages sur près de 5 millions), sachant sciemment que la loi permet déjà de mettre fin au bail pour les locataires dépassant largement les plafonds de ressources. 35% des locataires HLM vivent déjà sous le seuil de pauvreté et 1 locataire sur 4 s'est retrouvé en situation d'impayé au cours des 12 derniers mois" peut-on lire. "C'est un leurre, c'est un contre feux" s'indigne le Directeur des études à la Fondation Abbé Pierre.
Pour lui, le texte "permet d'augmenter les loyers des logements sociaux pour les très pauvres. Heureusement qu'on a ces logements sociaux, qui ne sont toujours en super état, mais qui permettent de loger des personnes qui sont au RSA, au SMIC. [...] Aujourd'hui, le logement social est souvent trop cher et le gouvernement prévoit d'augmenter les loyers pour ce qui reste des logements sociaux pas chers" regrette-t-il. Alors, si les locataires qui ne respectent pas le plafond de ressources venaient à être expulser, où iraient-ils ? C'est ce que se demande le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, des propos relayés par l'AFP : "Pour aller où ? C'est encore des petites ressources pour un ménage. Et les marches entre le logement social et le logement privé, dans certains territoires, elles sont très, très hautes !" explique-t-il.
"Le ministre récompense les maires hors-la-loi"
Autre problème pointé par Christophe Robert, l'assouplissement annoncé de la loi SRU, qui impose aux villes des quotas de logements sociaux. Guillaume Kasbarian et le gouvernement souhaitent que des communes qui ne remplissent pas les objectifs puissent intégrer le logement intermédiaire, destiné lui aux classes moyennes, dans une partie de leur production de manière à rattraper leur retard. "Le ministre récompense également les maires hors-la-loi qui depuis 20 ans ne respectent pas la loi SRU et l'obligation d'avoir 25 % de logements sociaux dans les zones les plus tendues. En intégrant les logements intermédiaires dans le calcul du parc social, largement inabordables pour les plus de 2,6 millions de demandeurs actuels (moins de 3 % sont éligibles), on ne permettra pas de loger ceux qui sont en attente d'un logement" fustige le CNH dans son communiqué. Les associations de locataires proposent, elles, de pénaliser les maires qui refusent de "loger des locataires dans des conditions décentes et abordables".