Article 49.3 : Macron et Borne l'imposent sur les retraites
ARTICLE 49.3. Le recours au 49.3 pour adopter la réforme des retraites jeudi a engendré de nombreuses réactions. La suite du programme ? Le vote des éventuelles motions de censure lundi.
[Mis à jour le 16 mars 2023 à 23h45] Des Français en colère dans les rues, des incendies, des dégâts rapportés ici et là, aux quatre coins du pays, des syndicats qui appellent unanimement à une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle et nationale le 23 mars, et des élus de l'opposition plus que jamais révoltés. Voilà le bilan en fin de soirée, jeudi 16 mars 2023, quelques heures seulement après la décision du gouvernement de recourir au 49.3 pour faire adopter la tant décriée réforme des retraites, sans vote.
Invitée sur le plateau de TF1 pour se justifier, la Première ministre a reconnu une forme d'échec. "Nous voulions aller au vote", a assuré Élisabeth Borne interrogée par Gilles Bouleau, avant de concéder : "Certains, au sein du groupe LR, ont joué une carte personnelle […]. On a constaté que le compte n'y était pas." Pour autant, la cheffe du gouvernement s'est défendue d'avoir fait passer un texte qui n'aurait pas été discuté. "Le texte sur lequel j'engage ma responsabilité et celle du gouvernement, c'est le fruit d'un compromis, d'heures de discussion au Parlement, approuvé hier par des députés et des sénateurs, et dans lequel on a voulu prendre en compte un certain nombre de situations particulières", a insisté Élisabeth Borne. Quid des motions de censure qui se profilent ? "Ce sera le vote de ceux pour ou contre la réforme", a-t-elle répondu.
Une motion de censure peut-elle passer ?
À l'utilisation du 49.3, les députés vont opposer des motions de censure et les espoirs de l'opposition se cristallisent autour d'une motion transpartisane déposée par le groupe centriste LIOT rejoint par d'autres députés. Les textes seront votés lundi, vraisemblablement, et s'il est adopté à la majorité absolue, la réforme des retraites sera rejetée et le gouvernement renversé. Mais rien n'est moins sûr. Quoi qu'il en soit, la tenue de votes sur ces motions de censure a toutefois permis à Élisabeth Borne de rappeler lors de son discours, avec une pointe d'ironie : "Un vote aura donc bien lieu, comme il se doit. Et c'est donc la démocratie parlementaire qui aura le dernier mot."
La majorité plutôt pour ou contre l'usage du 49.3 ?
Jusqu'à la matinée de ce 16 mars, la plupart des élus de la majorité défendait un recours au vote à l'Assemblée nationale. Une voix plus sage pour légitimer la réforme des retraites mais risquée compte tenu que l'incertitude qui entoure la majorité. Entre temps, le camp présidentiel a pris la mesure des risques de ne pas obtenir la majorité des voix des députés et n'a pas voulu s'en remettre au destin pour l'adoption de la réforme des retraites.
Plusieurs élus de la majorité, des ministres et même la Première ministre Elisabeth Borne ont préféré dégainer l'article 49.3 pour s'assurer de l'adoption du texte, malgré les conséquences que cela implique, notamment un possible renversement du gouvernement. La locataire de Matignon a d'ailleurs dit assumer le fait d'être "un fusible" en cas de recours au 49.3, un mal nécessaire doit penser la Macronie.
Pourtant d'autres députés de la majorité ont appelé à faire voter le texte à l'Assemblée nationale, notamment la députée Renaissance Constance Le Grip ou le MoDem Philippe Vigier. Ce dernier défendait ce jeudi matin sur France Inter : "Il faut que la réforme passe [...] et je souhaite que l'on puisse voter cet après-midi. Il faut prendre le risque. Lorsque Nicolas Sarkozy a fait la réforme constitutionnelle, il a gagné d'une seule voix. La vie politique, c'est aussi prendre des risques". Mais cette position semblait plus souvent motivée par la peur de voir le gouvernement désavoué. Si les motions de censure du RN et de LFI ont peu de chance d'aboutir, la motion transpartisane du centrise Charles de Courson signée par des élus LR fait planer le doute sur l'avenir du gouvernement.
Qu'est-ce que l'article 49-3 de la Constitution ?
L'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution, communément appelé 49.3, figure au titre V de la Constitution. Ce dispositif légal sert à réguler les "rapports entre le gouvernement et le Parlement". Le Premier ministre est la personne qui peut en faire usage après délibération du Conseil des ministres. Il est alors possible de suspendre l'examen d'un projet de loi particulièrement controversé au sein de l'Assemblée nationale, et donc de toutes les tractations qui l'accompagnent. Cela permettrait au camp présidentiel de faire passer un texte en force, donc sans vote, malgré les oppositions, et d'accélérer la procédure législative, notamment en mettant fin à une éventuelle obstruction des parlementaires.
L'utilisation du 49.3 a toutefois un prix et à chaque recours à l'article, le gouvernement "engage sa responsabilité". En d'autres termes il prend le risque de devoir démissionner si une motion de censure déposée par l'opposition, dans les 24 heures, est votée. La loi dispose que dans le cas d'un rejet de cette motion de censure, "le projet ou la proposition est considéré comme adopté." En revanche, si elle est adoptée, "le texte est rejeté et le Gouvernement est renversé." Toutefois, si aucune motion de censure n'est déposée dans les 24 heures, "le projet ou la proposition est considéré comme adopté."
Une motion de censure, c'est quoi ?
La motion de censure est un outil parlementaire majeur. Son objectif : aboutir, si elle est adoptée, à la démission du Premier ministre ainsi que de son gouvernement. Dans le cadre de l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution, elle peut être déposée par des députés. Ils doivent être au minimum 58, soit un dixième de l'Assemblée nationale. Pour être adoptée, elle doit recueillir 289 voix "pour", soit la majorité absolue de l'hémicycle, en l'occurrence 2587 voix puisque deux sièges sont vacants. Dans l'hypothèse d'une majorité relative (une majorité de "pour" mais moins de 289), elle n'est pas adoptée. Aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, le gouvernement d'Emmanuel Macron compte moins de 289 députés (249). De quoi faire craindre un possible renversement du gouvernement si toutes les oppositions signent une même motion de censure.
Quel gouvernement détient le record d'utilisation du 49.3 ?
Ce n'est pas le gouvernement d'Elisabeth Borne qui arrive en tête mais bien celui de Michel Rocard car lui non plus n'avait pas majorité absolue à l'Assemblée. Michel Rocard l'a donc utilisé 28 fois de 1988 à 1991. Comme le rappel l'INA, "cinq motions de censure, seul moyen d'empêcher l'adoption de la loi en renversant le gouvernement quand sa responsabilité est engagée, furent déposées contre son gouvernement" mais dont aucune ne fut votée. Quelques années plus tard, sous la présidence de Nicolas Sarkozy qu'une réforme constitutionnelle a été introduite, réduisant notamment réduit l'utilisation du 49.3 à un recours par session parlementaire, sauf pour le vote du budget ou projets de loi de financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement d'Elisabeth Borne vient donc ce 16 mars 2023 d'activer son onzième 49.3.