La France va-t-elle confier sa bombe atomique à d'autres pays européens ?

La France va-t-elle confier sa bombe atomique à d'autres pays européens ? L'idée de partager le bouton nucléaire avec d'autres pays européens divise mais fait son chemin dans l'esprit d'Emmanuel Macron. Toutefois, "la France a pleine autonomie en la matière", a-t-il rappelé.

Emmanuel Macron a relancé samedi, le débat sur l'idée d'une défense européenne via un parapluie nucléaire sous l'égide de la France. "Si mes collègues veulent avancer vers une plus grande autonomie et des capacités de dissuasion, alors nous devrons ouvrir cette discussion", a-t-il déclaré à la télévision portugaise, au lendemain de discussions houleuses entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump à la Maison Blanche. Cette sortie médiatique intervient également dans un contexte inédit de rapprochement entre Washington et Moscou. Ce lundi 3 mars, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, a même annoncé une pause des cyber-offensives contre la Russie.

Au sujet de l'arme nucléaire, Emmanuel Macron propose un "dialogue stratégique" avec les pays européens qui n'en disposent pas et pourraient ne plus dépendre de la dissuasion américaine, face au risque de retrait de la garantie de sécurité des Etats-Unis - y compris nucléaire - en Europe. Pour rappel, la France fait partie des deux seules puissances nucléaires du vieux continent avec le Royaume-Uni. Le futur chancelier allemand Friedrich Merz voit cette initiative du président français d'un bon œil, jugeant qu'il est désormais nécessaire de se préparer "au pire scénario". Autrement dit : le retrait de la garantie de sécurité américaine.

Selon lui, la discussion avec la France et le Royaume-Uni est nécessaire "sur la question de savoir si nous ne pourrions pas bénéficier du partage nucléaire". Un avantage qui peut être apporté par Paris et Londres. De plus, les puissances européennes commencent à se rendre compte que les Etats-Unis ne semblent pas enclins à se lancer dans un éventuel conflit nucléaire - pour le compte d'un pays européen, l'Ukraine - aux conséquences dramatiques avec la Russie. Et ce, notamment depuis l'élection de Donald Trump.

La "dissuasion nucléaire est française et elle le restera", mais...

"La France a pleine autonomie en la matière (...) nous ne dépendons pas d'un autre pour produire nos capacités nucléaires, pour en disposer et pour les opérer par les airs et par la mer, ce qui est aussi une spécificité française", mettait notamment en avant le chef de l'Etat français lors de sa visite au Portugal. "Nos amis britanniques ont des capacités nucléaires (...) moins complètes que nous. Il y a plus de dépendance à l'égard des partenaires américains", a-t-il tempéré. La France dispose de 290 têtes nucléaires, un arsenal avant tout défensif. Le Royaume-Uni dispose de son côté de 225 ogives, une flotte principalement basée sur la technologie américaine.  L'Europe reste donc toujours loin derrière les 3 700 têtes nucléaires des Etats-Unis, et des 6 000 que compte la Russie.

Dès 2020, Emmanuel Macron louait "la dimension authentiquement européenne" des intérêts vitaux français. "Sa doctrine garde un certain mystère parce que l'ambiguïté fait partie de son efficacité", assurait-il. En effet, la dissuasion française est 100 % indépendante et repose sur l'appréciation d'un seul homme, le chef des armées : le président de la République. L'arme nucléaire doit être utilisée en cas de menace contre les intérêts vitaux du pays qui en dispose. Voilà pourquoi, un partage apparaît comme délicat. Ses détracteurs sont nombreux, bien que leur discours semble légèrement se polisser en s'alignant sur celui du président Macron.

Samedi 1er mars, le ministre des Armées Sébastien Lecornu assurait ainsi sur X que la "dissuasion nucléaire est française et elle le restera : de la conception et la production de nos armes, jusqu'à leur mise en œuvre sur décision du président de la République". "Nous devons répondre aux questions de nos partenaires européens sur ce qu'est notre dissuasion, sur ce qu'elle peut signifier pour eux, et ce qu'elle restera", poursuit-il.

Une position partagée par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau : "Une telle décision - le feu nucléaire c'est l'arme absolue - ne peut pas se partager", dit-il sur BFMTV-RMC. Avant, aussi, de nuancer son propos: "depuis le général de Gaulle (...) tous les présidents de la République ont indiqué que l'intérêt stratégique de la France, l'intérêt vital, ne pouvait pas se réduire au seul territoire national. En cela, pour le moment, je ne vois pas d'inflexion de doctrine de ce que j'ai entendu des propos" d'Emmanuel Macron.

... l'incertitude américaine plonge l'Europe dans le flou

Un ex-chef de la mission militaire française auprès de l'ONU s'aligne sur ces propos plutôt nuancés. Dans les colonnes de RMC. "Il n'y a pas un cercle de 27 pays qui va établir, avec chacun un droit d'appuyer sur le bouton", affirme Dominique Trinquand, cela ne fait aucun doute. Toutefois, si "la dissuasion nucléaire restera française", "il faudra convenir du fait que les intérêts vitaux de la France s'élargissent. C'est une façon dissuasive de les empêcher de nous menacer", explique-t-il. Définitivement, "il n'y a aucune volonté de partage de l'arme nucléaire, mais cela peut prendre la forme d'un engagement oral ou écrit de la part du président", indique de son côté Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Ifri chez France Info.

Côté britannique, difficile pour le Royaume-Uni d'agir sans l'aval des Etats-Unis. En effet, Londres dépend techniquement de Washington sur les missiles utilisés et leur maintenance. Aujourd'hui, une dissuasion nucléaire au niveau européen permettrait, pourquoi pas, de donner davantage de garanties si son pendant américain venait à perdre en crédibilité. "C'est le moment d'un réveil stratégique. Dans tous les pays il y a un trouble, une incertitude sur le soutien américain dans la durée" concédait Emmanuel Macron. Preuve d'un dérèglement des relations internationales et d'un certain revirement de la première puissance moniale.