Aïcha : la piste de la vidéo intime écartée
[Dernière mise à jour le 4 mai 2015 à 19h58] Elle avait 14 ans. Aïcha s’est jetée mardi par la fenêtre de son domicile de Stains, en Seine-Saint-Denis. La piste du harcèlement a vite été avancée sur le Web. Une vidéo intime qu’elle aurait pu tourner avec son petit ami était évoquée ainsi que sa diffusion. De nombreuses personnes auraient vu la vidéo, dont ses proches, selon ce scénario. Un emballement et un mouvement d'indignation d'une intensité rare ont suivi en fin de semaine sur Internet. Mais selon les enquêteurs ce samedi, la jeune fille qui s'est suicidée n'a rien à voir avec la brunette sexy de la vidéo. "Ce qui a été diffusé sur les réseaux ne concernait pas la victime", assure une source policière au Parisien. "En l'état actuel des investigations, il n'y a aucune photo ni vidéo d'elle diffusée avant les faits", ajoute le parquet de Bobigny dans le quotidien. La plateforme Pharos, chargée de signaler les contenus violents sur Internet, n'a rien repéré au sujet de l'adolescente avant sa mort.
Un emballement sur Internet symptomatique de l'information d'aujourd'hui, qui privilégie la réactivité aux vérifications ? La thèse du harcèlement était pourtant tenace et avait été évoquée par l'AFP (reprise par Linternaute.com). Les parents, frères et sœurs de la victime étaient présents dans l’appartement au moment du drame. Ils ont entendu "un bruit énorme", a raconté une source policière à l’AFP. Cette même source avait indiqué que la jeune femme "avait des problèmes" à cause de cette vidéo car "elle s’était exhibée devant une caméra ou avait été filmée à son insu", visiblement dans une position provocante. France Info assurait que les photos et vidéos intimes de la jeune fille avaient bel et bien circulé sur le net, mais après sa mort seulement. La radio affirmait d'ailleurs que les enquêteurs restaient prudents sur un éventuel lien avec le suicide de la jeune fille.
Sur les réseaux sociaux, le prénom "Aïcha" figurait parmi les sujets les plus discutés en fin de semaine et ce week-end. Certains internautes ont affiché leur soutien à la famille de la victime, notamment via une page Facebook qui a recueilli plus de 13 000 likes dans les premières heures. Un jeune homme a tenu à rendre hommage à Aïcha via une vidéo. D’autres internautes, en revanche, n’ont pas hésité à publier des commentaires abjects, salissant la mémoire de cette jeune femme, allant jusqu’à se réjouir de son suicide, invoquant parfois la religion. Une vidéo postée sur Twitter, et filmée de nuit depuis la fenêtre d’un autre immeuble de la cité, aurait également été diffusée juste après le suicide de la jeune femme. On entendrait une femme pousser des cris, et d’autres personnes demandant d'appeler les secours. La police a tenu à nouveau à mettre en garde sur la dangerosité des réseaux sociaux. Le rectorat de Créteil a annoncé ce jeudi après-midi qu'une cellule psychologique allait être mise en place lundi, après le week-end du 1er mai, dans l'établissement où était scolarisée l'adolescente.
EN VIDEO - Le harcèlement à l'école fait depuis plusieurs années l'objet d'inquiétudes.
Le suicide d'Aïcha, sujet explosif sur la Toile
Et cet emballement inoui sur Internet s'est très vite transformé en vendetta. Dans son premier "papier", France Info révèlait que, mercredi, un jeune mineur s'était présenté avec ses parents au commissariat d'Aulnay-sous-Bois. Certains internautes assuraient qu'il était à l'origine de la fuite de la vidéo compromettante. Mais lui jurait n'avoir rien à voir avec cette affaire. Il aurait reçu plusieurs menaces de mort. Sa tête a même été mise à prix pour 10 000 dollars (!) sur plusieurs blogs. Une enquête a été confiée à la Sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis.
L'histoire dramatique d'Aïcha, telle qu'elle était présentée sur les réseaux sociaux, avait de quoi susciter les réactions. Elle rappellait celle de Marion, 13 ans. Menacée, insultée, aussi bien au collège que sur Facebook, ou via SMS, la jeune fille s'était pendue dans sa chambre en février 2013. Elle avait laissé une lettre dans laquelle elle expliquait son geste. "Vous êtes allés beaucoup trop loin dans cette histoire", disait-elle notamment. Elle listait également toutes les insultes dont elle avait été victime. Marion, sans qu'on sache trop pourquoi, était devenue "la salope", "la bolosse" de sa classe. Celle qui était une élève brillante, rayonnante, a basculé petit à petit dans la spirale du harcèlement, subissant au quotidien des brimades. Un harcèlement qu'elle a toujours caché à sa famille. La veille de son passage à l'acte, la collégienne s'était entendue dire par une camarade de classe : "Va te pendre"... Sous son lit en hauteur, la jeune fille avait pris la peine de pendre un téléphone portable, comme pour couper symboliquement la parole à ceux qui la faisaient souffrir. La mère de la victime a écrit un livre racontant le calvaire de sa fille : "Marion, 13 ans pour toujours" (éditions Calmann-Levy).
En octobre 2012, le Canada était aussi bouleversée par l'histoire d'Amanda Todd. La jeune fille de 15 ans avait raconté son mal-être dans une vidéo postée sur YouTube. Un mois après, elle était retrouvée morte, chez elle, près de Vancouver. Depuis plusieurs mois, elle se disait harcelée, à l'école et sur Internet. A tel point qu'elle avait fini par sombrer dans la dépression, l'alcool et la drogue. Sa vie a basculé lorsque, à 12 ans, elle a rencontré via webcams interposées, un homme. Ce dernier lui avait demandé de montrer ses seins, Amanda avait accepté. S'en est suivi un chantage et l'homme en question avait fini par diffuser les photos compromettantes d'Amanda. Malgré plusieurs déménagements, le harceleur a toujours fini par la retrouver, parvenant à diffuser les photos à ses proches et ses nouveaux amis. Un "cyber-harcèlement" qui l'a détruit de l'intérieur. Par deux fois, elle tentera de se tuer. Sa troisième tentative sera, hélas, la bonne... "Mon nom est Amanda Todd", concluera-t-elle dans sa vidéo.